lundi 18 novembre 2013

Réfléxions du samedi


Samedi j'ai accompagné les filles à l'atelier de peinture (cette fois-ci Émy a voulu y aller) et en attendant dans le petit salon pendant le déroulement de la séance, je me suis plongée dans un livre d'Arno Stern, le jeu de peindre.
C'est une approche très intéressante et j'y ai trouvé des correspondances avec la pensée de Maria Montessori. Ce passage, par exemple, m'a beaucoup parlé et m'a plongé dans mes pensées, si bien que je l'ai recopié dans mon carnet :

"Ceux qui attribuent la trace (le dessin, la peinture...) à l'imagination, s'évertuent à stimuler la créativité en proposant une variété de techniques. Ils entretiennent ainsi une avidité aux changements : un jour on propose de peindre en noir et blanc sur du papier ondulé, le lendemain on éclaboussera des couleurs sur du papier buvard; un autre jour, les enfants devront graver des traits parallèles dans des coulées de cires, et à la séance suivante faire des motifs avec des épingles piquées dans une plaque de polyester... Il faut surtout, ne jamais répéter, mais toujours désirer du nouveau. La répétition est considérée comme le contraire du progrès."

Pourtant, oui, c'est bien la répétition qui permet de progresser, de se perfectionner, de voir et percevoir de plus en plus de détails et d'aller au fond des choses.
Et en quoi cette phrase m'a fait penser à Montessori ? Parce que là aussi la répétition et la volonté de ne pas toujours apporter de la nouveauté à l'enfant questionnent souvent. Les parents viennent me voir pour trouver des nouvelles activités à proposer car l'enfant n'arrive pas à se poser. La réponse n'est pas dans une nouvelle activité. Je leur conseille d'abord de faire le tri, de vider, de proposer moins de choses, d'aller à l'essentiel. Les enfants à qui l'on donne sans cesse de la nouveauté deviennent des petits papillons incapables de se concentrer sur une chose, avides de changements, ayant "besoin" de toujours plus.

J'ai pu observer le début de la séance de peinture, car Émy avait du mal à me laisser sortir de la pièce. Et j'ai compris l'importance de ce lieu clos, sans interférences extérieures, sans autres stimulations, sans la question du choix de la technique, sans technique d'ailleurs, si ce n'est le respect du matériel et de la couleur.
Émy était posée, calme, hyper concentrée, prenant le temps de choisir ses couleurs, son pinceau. Avant de toucher la feuille, elle avait un petit temps de réflexion, d'observation. Elle était bien, dans ce qu'elle faisait. Elle était dans "l'ici et maintenant", dans le plaisir du moment de la création.
Même à la maison, où elle peut faire de la peinture quand elle le souhaite car elle a le matériel à disposition, elle n'est jamais aussi concentrée, focalisée sur ses gestes et attentive. De plus ses moments de peinture ne durent pas aussi longtemps, en tout cas pas 1h30 sans interruption de la concentration, comme cela a été le cas samedi .
Liv, quant à elle, était ravie de revenir là. Contrairement à la première fois, où elle avait été très impressionnée par l'ambiance, elle s'est tout de suite lancée dans une œuvre, pressée de se mettre en action. Ces gestes étaient justement marqués par cet empressement, comme si le temps était compté et qu'elle voulait en profiter au maximum avant la fin. Elle courait presque entre la table des couleurs et sa feuille, oubliant parfois de tremper le pinceau dans l'eau ou prenant trop de peinture !
La première fois elle s'était mise à peindre très tard dans la séance, après une longue adaptation. Elle a dû rester sur cette impression de temps trop court, et ne voulait rien rater cette fois-ci.

Dans une ambiance Montessori, c'est aussi ce qu'il faut rechercher : la concentration de l'enfant, son investissement profond dans ce qu'il fait. Alors au lieu de "poluer" les étagères avec tout un tas d’activités annexes, de peur que les enfants ne finissent par s'ennuyer de trouver toujours le même matériel, nous devons les aider sur le chemin de la répétition du geste, le plaisir que l'on peut éprouver à se perfectionner et à aller au fond des choses. Ne pas rester simplement en surface et "consommer" les activités.

Tout au long des séances dans un closlieu l'enfant, ou l'adulte d'ailleurs, ne trouvera rien de nouveau, rien d'autre que ce qu'il ne connait déjà, à savoir cette table des couleurs au centre de la pièce, et ces murs marqués des traces des précédents ateliers qui attendent une feuille blanche. À chaque fois c'est une répétition mais en même temps chaque séance est nouvelle !

Une ambiance Montessori aussi offre à l'enfant la réassurance de trouver toujours les mêmes choses, à leur place, dans un ordre qu'il connait et a mémorisé. Il sait parfois avant même d'arriver à l'école, quelle activité il va prendre. Il ne peut pas avoir "peur" de l'inattendu, de l'inconnu.
Mais ce qui est stimulant pour l'enfant est qu'il n'a pas accès tout d'un coup à tout le matériel de la classe. Cela se fera petit à petit. Au fur et à mesure qu'il grandi, il peut prendre de nouvelles choses, découvrir de nouveaux concepts et progresser dans ces apprentissages, tout en ayant la possibilité de revenir à des choses déjà connues, pour se rassurer, pour se reposer ou simplement pour le plaisir !
Et la critique vis à vis de Montessori, que j'entends souvent, par rapport aux activités artistiques me parait encore plus vide de sens après avoir lu Arno Stern : pourquoi n'y a t-il pas plus d'ateliers créatifs ? pourquoi un seul chevalet avec seulement de la peinture ? Pour que les enfants ne se perdent pas dans des exercices superflus.

" La fantaisie qui exagère et invente grossièrement ne met pas sur la bonne voie." (de l'imagination, de la créativité et de l'intelligence). Maria Montessori, Pédagogie scientifique t.2





11 commentaires:

Mélanie a dit…

Merci pour ces très intéressantes réflexions. Il est vrai que la répétition semble être une base de l'apprentissage. Même à l'âge adulte, on sent que c'est en répétant un texte, un geste, une manipulation des centaines de fois que l'on se l'approprie et qu'on l'affine.
Il est en effet aberrant de constater à quel point, pendant leur parcours scolaire, les enfants et adolescents sont souvent amenés à passer très rapidement à autre chose sans avoir eu le temps de s'approprier vraiment un apprentissage, et ce pour répondre à des exigences de programme.
Or, pour aider un enfant en échec scolaire par exemple, il faut lui laisser le temps de comprendre ce qu'il fait, pourquoi il le fait, et surtout de comprendre ce que tout cela peut lui apporter comme satisfaction, plaisir, fierté...

Cerina a dit…

Un très beau billet.
Merci

Agnès a dit…

Très très intéressant.
Merci de ce témoignage et de ces pistes de réflexions !

Anne-Laure a dit…

Merci pour cet article qui va au fond des choses car Montessori c'est de la forme mais beaucoup de fond.

D'ailleurs la dernière citation me parlé énormément car en ce moment mon petit de 2 ans est en plein dans une phase où il se raconte des histoires. On voit bien que son imagination travaille à plein volume. Hier par exemple, il s'amusait à se mettre dans un fauteuil et à démarrer la voiture, tout en utilisant son bilibo comme volant. Je suis rentrée dans son jeu, faisant semblant de mettre ma ceinture, de démarrer ou de mettre de l'essence.
Ce matin il me demande une tartine de pain "énorme". En rigolant je lui dis "mais si tu veux une tartine de pain énorme il va falloir que l'on change de grille-pain pour en prendre un énorme". Et il continue le jeu.
Et après je me suis dit: "est ce que je n'en fait pas trop?" => d'où le fait que cette citation résonne particulièrement...

Anonyme a dit…

C'est toujours intéressant de te lire, je ne poste pas souvent mais je suis les aventures de ta petite famille régulièrement. Merci.
Je partage ton point de vue. Quand je suis tentée d'acquérir du matériel, je me souviens de ma fille retrouvant des activités apparemment délaissées (et des jeux) : le mieux est l'ennemi du bien.

Eve

Stefblogue a dit…

Merci pour ce rappel et se rapprochement!

Anonyme a dit…

Je partage moi aussi tes réflexions, notamment sur la diversité et la quantité des propositions que nous faisons aux enfants. Je trouve souvent très difficile d'échanger sur ces réflexions avec les adultes: parents et assistantes maternelles (qui sont le public que j'accueille professionnellement. Souvent dans l'envie de bien faire il y a confusion entre beaucoup et bien; répétition inlassable de l'enfant qui 'apprend' et regard de l'adulte qui se dit 'ça suffit, il y a plein d'autres choses à voir ou à faire'. J'en suis moi-même à me répéter auprès de ce public et parfois découragée, à me demander comment communiquer sans heurter! Et pourtant quand je vois la curiosité puis la satisfaction sur le visage des enfants qui peuvent être dans la répétition, je me dis que cela devrait suffire...

oops a dit…

Jolie réflexion, pleine de sens et de poésie... La "slow attitude" et "less is more" construit aussi bien les adultes que les enfants !

Ceci dit, à suivre ce blog très inspirant, on peut être amené a vouloir acquérir beaucoup de matériel montessorien : votre équipement est incroyable, riche, varié, de qualité... Nous sommes sans doute nombreux à rêver en proposer autant à nos enfants.

Je m'interroge sur les outils de dessin à laisser à libre disposition. J'ai tendance à mettre en sécurité la peinture : avec 2 miss de 17 mois et 3 ans, c'est trop risqué ! D'autant qu'il n'y a pas de pièce de bricolage chez nous, donc c'est soit le salon, soit leur petite chambre commune (où elles ne restent pas longtemps).
Elles préfèrent les feutres, mais je ne les laisse pas non plus sans surveillance : canapé et autres meubles en portent encore les traces... Craies grasses ? Nous avons passé les 4 jours de notre dernier séjour à l'étranger à se demander comment on pourrait bien l'effacer du mur... Crayons de couleur ? Ce n'est décidément pas ce que mes filles préfèrent.
Du coup, tout est rangé ; je sors le matériel à la demande et seulement si je peux rester à côté. Conséquence : elles me sollicitent pour dessiner, et c'est tout sauf un moment de liberté d'expression personnelle pour elles !
Difficile de tout concilier...

Hélène a dit…

Bonjour, je n'ai encore jamais écris alors que je lis de temps en temps. Mais là c'était trop "parlant". Je travaille dans une centre de promotion familiale pour des familles qui vivaient l'errance et justement nous proposons aux enfant d'âge maternel des temps "Montessori", dans une recherche qu'on fait en partenariat avec l'institut supérieur Maria Montessori et pour les plus grand des ateliers avec la pédagogie Arno Stern. J'ai pu participer moi aussi à un temps de peinture comme cela et c'est incroyable l'effet que ça fait, cette pédagogie où chacun se concentre sur ce qu'il fait, où l'on ne juge pas (pas de "c'est beau"...) Merci, je vais me replonger dans votre blog. Hélène

mallory a dit…

Belle Comparaison, ce livre est sur ma liste de noël... J'ai juste trouvé le site d'arno stern sur internet la semaine dernière et rien que la palette de table me faisait penser au pots a crayon Montessori. Je vais regarder si on a des lieux de ce genre vers chez nous, mais je ne crois pas. Je m’intéresse depuis un petit moment à la pédagogie Montessori, et j'en suis au stade ou je cherche à me former pour bien faire. Nous sommes dans une société de consommation, et il est vrai que les enfants ont trop de choses. Je le vois chez moi. Trop de jouets, tue le jouet. Mais c'est aussi difficile de revenir en arrière (pour elles ou pour nous je ne sais pas....)

callista a dit…

Que de vérités dans ce billet ! Laissons le temps aux enfants de découvrir, d'expérimenter, de se perfectionner, de maîtriser, de prendre du plaisir. Et nous aussi, prenons le temps de le regarder, de l'observer, de l'aimer. Laissons nous du temps...

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